lundi 27 mai 2024

Avida Dollars (2 de 2)

Le pharmacien d’Ampurdan ne cherchant absolument rien (52x36cm), peint par Dalí en 1936, actuellement au musée Folkwang d’Essen. On ne trouve quasiment pas de bonne reproduction des tableaux de Dalí sur internet, même sur les sites des musées étasuniens qui les montrent, droits d’auteur obligent, au format d'un timbre postal. 
Autres vues médiocres du même Pharmacien : à la fondation Gala-Salvador Dalí, au musée Folkwang, ou sur Flickr (Mazières).

Durant plusieurs décennies Salvador Dalí, bouffon loquace et farceur, a diverti les médias, ce qui fit sa popularité, mais il a aussi beaucoup créé, peintures, illustrations, décors, sculptures, scénarios, textes. 

Parmi quantité de poudings académiques, de bondieuseries grandiloquentes, de portraits ennuyeux d’aristocrates et d'inspirations scientistes, on déniche néanmoins de belles inventions.


On oublie trop souvent, pour faire son marché dans cet œuvre hétéroclite, le remarquable site de la fondation Gala-Salvador Dalí, site du théâtre-musée Dalí de Figueras et surtout de son catalogue raisonné de plus de 1000 peintures et d’une partie des sculptures.


Classé par une ligne chronologique d’une commodité exemplaire, en haut de page, on peut aussi y chercher des œuvres par mot-clef dans 5 langues dont le chinois, ou consulter le douteux index par musées ou collections. On y apprend que le musée de Fukushima possède 12 Dalí et que le centre Pompidou de Paris n’en a qu’un seul, ce qui est un peu approximatif puisque la recherche du mot-clef Pompidou dans le même catalogue en trouve 7.


Les reproductions y sont très correctes mais petites, agréables pour un survol de l’œuvre mais insuffisantes pour examiner des détails ou la touche du peintre. 

C’est l’éternelle question des droits d’auteurs, si commodes pour l’avidité à dollars des ayants-droit. Selon la législation actuelle il faudra attendre début 2060 pour commencer à découvrir les détails des œuvres. Certains rares musées permettent de zoomer sur leurs Dalí, comme celui de Cleveland pour Le rêve (P267).


Vous n’aurez pas droit ici au florilège habituel d’œuvres distinguées parmi les 1207 numéros du catalogue. La production de Dalí est si disparate que sa plus grande réussite est sans doute que chacun y trouve toujours ce qu’il cherche, comme aux Galeries Lafayette ou à la Samaritaine.



jeudi 23 mai 2024

Avida Dollars (1 de 2)

Salvador Dalí et sa cour à la télévision française le 21 avril 1967. On y prononçait beaucoup les mots or et dollars. Le maitre répliquait à propos de l’anagramme de Breton "Salvador Dalí = Avid à dollars".
- C’est un[e] anagramme qui était magique et qui m'a apporté une chance extraordinaire car depuis qu’il m’a appelé Avida Dollars, la pluie d'or a commencé à tomber sur ma tê-te comme une divine diarrhée monotone et réellement su-blime.

Si on a la bonté de croire les chiffres autoproclamés de fréquentation des expositions, l’œuvre du peintre Salvador Dalí (en français Dali) serait appréciée par un nombre considérable de français ; ses deux rétrospectives au centre Pompidou auraient attiré à Paris 840 000 visiteurs en 1979 et 790 000 en 2012 (le pompon, pour une exposition monographique, est toujours détenu par Monet en 2010 avec 913 000).


Rappelons que ce n’est pas parce qu’on aime les œuvres d’un artiste qu’on partage nécessairement ses idées, seraient-elle réactionnaires, provocatrices, opportunistes et méprisables. Dalí a toujours été du côté de l’argent donc du pouvoir. C’est la fatalité de tout artiste à la mode de son vivant, qui l’incite à la surenchère dans le kitch et la vulgarité. Dalí le faisait avec ironie et un certain éclat, en débitant les pires absurdités devant les médias subjugués.


Le programme d'archives Les nuits de France-Culture vient de regrouper 17 épisodes radiophoniques (d’une trentaine de minutes) sur Dalí.

Les 9 premiers sont truffés d’entretiens savoureux avec le peintre, les suivants sont des commentaires convenus, par des spécialistes de la psychanalyse qui débitent avec sérieux leur glose doctrinaire sur les délires contrôlés du peintre.  


Voici un petit florilège de saillies et de pensées par Dalí avec le lien vers l’épisode de la citation (mais il est plus amusant de les entendre déclamées dans les entretiens, avec l'élocution de Dalí, et puis il n’y a pas que des sottises) :


Breton pensait que Dali n’était plus un peintre surréaliste et l’a exclu du mouvement "parce que je n’étais pas de ceux qui se groupaient de façon habituelle à sa table de café".


Je remercie Picasso d’avoir assassiné la peinture académique mais aussi toute la peinture moderne […] Avec son génie ibérique il a produit en 3 semaines les tableaux les plus laids du monde, les portraits de la série Dora Maar d’une laideur surhumaine et on ne peut plus aller plus loin dans ce sens, il faut donc faire maintenant des choses très belles si on veut faire des choses nouvelles.


La peinture abstraite a toujours existé, on l’appelait la peinture décorative.


C’est aux critiques, pas à moi, d’expliquer ce que je fais, que la plupart du temps je ne comprends pas du tout […] Il me suffit de le faire minutieusement.

Je suis un peintre ex-surréaliste



Dans le pointillisme tous les points sont posés les uns à côté des autres bu-reau-cra-ti-que-ment.


Je crois que je suis un peintre assez médiocre dans ce que je produis. Ce que je considère génial c’est la vision de ce que ça devrait être.

Toute ma jeunesse j'ai joué à être un génie sans y croire et je le suis devenu


Le commentateur cite un texte de Dalí qu’il dit trouver déchirant "Le ciel n’est pas en haut, en bas, à gauche, à droite, il est au centre de la poitrine de l’homme qui a la foi. À cette heure je n’ai pas encore la foi et je crains de mourir sans ciel". 

Dalí réconfortant lui rétorque "Mais ça va mieux".

Dans l’art il y a encore moins de progrès que dans le reste


La chanson est un moyen de crétinisation générale pour les foules et je m’en sers dans ma méthode paranoïaque critique pour faire partir les gens ou les faire revenir.


Ce que j’aime le plus au monde c’est gagner de l’argent. Je suis la plus grande courtisane de cette époque.

La chanson est un art très mineur


Si dans la vue de Delft il y avait eu une cabine téléphonique, alors Vermeer aurait peint exactement la cabine téléphonique.


Je suis un mys-mixtificateur, un peintre est mixtificateur parce qu’il ne fait que mixter, faire des mixtions entre l’huile, les terres de Sienne…

Je suis un mystificateur


mardi 14 mai 2024

Œuvre incomplet ou incomplète ?

Ponce Pilate, préfet romain de la Judée dans les années 30 de l'ère actuelle, crucifiait de temps en temps un opposant à l’empire envahisseur, et notamment un délinquant vaguement prêcheur qui aurait mis un peu de désordre dans le temple et qui est devenu une célébrité posthume, faisant du même coup la notoriété de son juge. Dans l’illustration, Pilate désigne le coupable avant sa crucifixion en annonçant au peuple Voici l’homme - Ecce homo en latin. Les sources de cette histoire sont néanmoins peu crédibles. 


Vous aviez fait l’acquisition d’un beau livre aux belles reproductions et au titre définitif, "Caravage, l’œuvre complet, 40ème édition", qui se disait catalogue raisonné exhaustif et détaillé de l’œuvre du peintre. Ou peut-être était-ce un autre catalogue.
Et voilà que le musée du Prado de Madrid annonce exposer jusqu’au mois d’octobre prochain un tableau de Caravage que vous ne connaissiez pas et ne retrouvez pas dans votre catalogue.

Ça n’est pas le premier tableau redécouvert et attribué à Caravage qui manque au catalogue. 39 éditions l’ont précédé. Le phénomène n’est pas si rare. 
En 2014 une des multiples répliques de la Madeleine pénitente reparaissait, affirmée être l’originale par les responsables - légèrement manipulateurs - de la découverte. En 2019 à Cavaillon c’était l’apparition de deux Caravage du Luberon, et la même année se concluait la fantasque aventure de Judith décapitant Holopherne déclaré en 2016 Trésor national par le ministère de la Culture puis négligé et finalement abandonné au marché. 

Ces apparitions nimbées de suspicion font rarement l’unanimité des spécialistes sur leur authenticité, contrairement à celle que proclame aujourd’hui le Prado autour de l'Ecce homo qu’il expose comme un authentique Caravage des dernières années, vers 1605-1610.
On aurait même trouvé une trace écrite de son existence dans la collection de Philippe 4 d’Espagne en 1664. Les faussaires utilisent parfois ce type d’information pour mystifier les experts ravis de confirmer leurs hypothèses et ainsi moins méfiants lorsque l'œuvre est découverte. 

Il s’agit d’une huile sur toile de 111 centimètres par 86, de style caravagesque, représentant Pilate, le Christ couronné d’épines et un personnage le couvrant d’une étoffe rouge.
Repéré lors d’une vente de la maison Ansorena en avril 2021 sous le numéro 229, estimé 1500€ comme peint dans le cercle de Ribera, le tableau était alors interdit d’exportation en tant que bien d’intérêt culturel, expertisé et restauré sous contrôle public, acheté par un anonyme privé en 2024 et prêté au grand musée national pour y être exposé pendant 6 mois
Son authenticité en sera consolidée. Une 41ème édition du catalogue raisonné sera peut-être envisagée.

samedi 4 mai 2024

Où étaient les peintres ? (7)

Trois vues du dos de Florentine, peintes par - dans l’ordre alphabétique - Eckersberg, Henriques et Smith, placées ici en fonction de la position supposée de chaque peintre devant la scène, donc pas nécessairement dans l’ordre des noms.

Faisons comme si vous étiez en train de lire cette chronique. Il est possible que ce ne soit pas le cas ; vous êtes peut-être déjà dans cet univers potentiel où la déesse Gougueule l'aura censurée, parce que l'illustration en est au moins trois fois plus osée que ce que les obsessions puritaines de son réseau et son intelligence postiche supportent habituellement. D’ailleurs une des 3 images qui la composent, qui illustre les publications d’un fameux musée danois, aurait été menacée d’interdiction vers 2016 sur un autre réseau social multimilliardaire en adhérents.  


La question de savoir où étaient les peintres n’est qu’un prétexte, bien sûr. On devine sans effort qu’ils étaient au même endroit, au même moment.


D’ailleurs ces séances de pose sont bien documentées dans le journal tenu par Eckersberg à l’époque. 

Elles se déroulaient, comme d’autres séances depuis le milieu des années 1830, dans une salle de l’Académie royale des beaux-arts danoise, à Copenhague, entre le 9 aout et le 16 septembre 1841. Le professeur, C.W. Eckersberg - on en parlait ici et  - enseignait par l'exemple la peinture d’après un modèle féminin dont l’histoire n’a retenu que le sobriquet, Florentine, à un groupe d’élèves, dont Salomon Henriques et Ludvig Smith.


La version du professeur Eckersberg, une toile de petit format (33cm. x 26), est devenue depuis 1895 où elle trône dans la salle 1 du musée de la collection Hirschsprung à Copenhague, une sorte de Joconde danoise. Eckersberg est souvent qualifié de père de la peinture danoise.


La version de Ludvig Smith, haute de 120 centimètres, achetée aux enchères en 2003, est une des 151 œuvres danoises de l’étonnante collection privée du banquier américain John Loeb Junior, constituée depuis les années 1980 quand il était ambassadeur au Danemark, et dont le catalogue raisonné en ligne est remarquable.


La version de Salomon Henriques, haute de 87 centimètres, aurait pu faire l’objet d’une chronique de la série Ce monde est disparu puisqu’elle devrait disparaitre sous les enchères dans quelques jours, chez Christie’s à New York le 23 mai, contre 20 à 30 000 dollars, pense-t-on.


Quant à la position précise des peintres lors de ces séances, le commentaire du catalogue raisonné de la collection Loeb considère qu’Eckersberg était à gauche, Smith au milieu et Hendriques à droite, comme sur notre illustration. Le modèle ne pouvant pas garder exactement la même attitude au long des multiples séances de pose nécessaires, il semble qu'à certains détails cette affirmation, particulièrement sur la position des deux élèves, pourrait être discutée. Nous ne le ferons pas.


On dit que J.C. Dahlpaysagiste norvégien ami de Friedrich à Dresde, était présent à ces séances de 1841, parmi d'autres artistes. Il n’est pas impossible que des versions perdues du dos de Florentine reparaissent un jour, du fond d’un débarras ou d'une brocante. 


dimanche 28 avril 2024

Histoire sans paroles (51)


On reprochera peut-être au photographe de s’être préoccupé d’une plaque d’égout et des traces d’une sortie de garage, alors qu’il avait à 50 mètres un point de vue sur la façade occidentale de la cathédrale Saint-Maurice, à Angers.
C’était peut-être volontaire, elle est à moitié dans les cartons depuis si longtemps - ici en octobre 2022.

Pour résumer la situation - n’oublions pas qu’on est dans une Histoire sans paroles - il y avait dans le temps un porche, une vaste galerie qui prolongeait la nef de la cathédrale, un narthex, un caquetoire, voire une galilée disent les vrais spécialistes en désaccord avec Monsieur Larousse sur le genre de la chose. De style vaguement gothique construite à la Renaissance elle protégeait un épisode de l’Apocalypse de Jean, sculpté autour du tympan du portail et peint de diverses couleurs dont certaines du 12ème siècle. Très dégradée la galerie avait été détruite en 1806, offrant l’Apocalypse aux intempéries. Cependant les sculptures avaient été recouvertes d’un badigeon de chaux protecteur, qui s’encrassait depuis deux siècles.
Un jour quelque décideur s’intéressa au portail. C’était, voilà une quinzaine d’années, le début d’une longue période d’analyses et d’expertises. Il fut décidé de restaurer le portail et ses sculptures et de les protéger temporairement dans un coffre de planches en attendant l’édification d’une solution architecturale moderne, œuvre d’un célèbre architecte japonais choisi par le ministère de la Culture. 
L’ambitieux projet a pris naturellement un retard pour l’instant modeste. L’inauguration de la nouvelle galerie envisagée vers l'été 2024 se ferait plutôt vers la fin 2025. 

Le photographe pourra alors immortaliser cette façade occidentale occultée depuis 15 ans, embellie par un geste architectural contemporain, où l’artiste japonais dit avoir respecté les proportions du nombre d’or, ce qui, comme tout placebo, ne peut pas faire de mal, et où il affirme, contredisant avec bonne humeur un architecte inquiet et un peu trop minutieux assistant à sa conférence, que la lumière du soleil des soirs d’été ne touchera jamais de ses néfastes rayons directs les sculptures aux couleurs ressuscitées.

samedi 20 avril 2024

Au musée des arts de Besançon...

Pierre Bonnard, le café Au Petit Poucet, 206cm, 1928 (BesançonMusée des arts et d’archéologie,  dépôt du Centre Pompidou).

Préambule

Le Musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon dans le Doubs héberge des merveilles, notamment en peinture, de la splendide et justement renommée déploration de Bronzino, à l’éclatant Café Au Petit Poucet de la place Clichy par Bonnard, en passant par les fameux Enfers de François de Nomé (alias Monsu Desiderio). Pour ces derniers, vous aurez beaucoup de mal à les voir parce que le parcours de visite, qui se fait par une grande rampe comme dans la coquille d’un colimaçon, les place exactement en face d’une ouverture de lumière, et le tableau sombre et brillant n’est plus qu’un reflet éblouissant et peu lisible. Peut-être est-ce pour cette raison qu’on n’en trouve pas de reproduction acceptable sur internet, pas même sur le misérable site du musée.


Mais nous ne sommes pas là pour visiter le musée de Besançon - d’ailleurs il était en grève il y a peu - mais pour illustrer le sujet sensible de la "direction des musées".


Le roi, on pouvait lui couper la tête, alors que le président, même une petite amende, il la paiera pas.

JM Gourio - Le grand café des brèves de comptoir (tome 3)


Depuis l’élimination discrète du baron d’Orsay, depuis l’abdication, moins furtive tant il trainait de casseroles, du roi du Louvre, depuis le départ de son successeur, également suivi d'ustensiles de cuisine, dans un ambiance d’affaires douteuses, on aurait pu croire révolu le temps des despotes carriéristes dirigeant les musées publics à coups de gestes prétentieux et d’abus de pouvoir.


Il n’en est évidemment rien.

Le président de la République (assisté du ministère de la Culture) possède un harem de domestiques dévoués et soumis, tous et toutes interchangeables, qu’il déplace d’un fauteuil de musée à l’autre tant que leur réputation n’est pas trop entachée, avant de les oublier dans un placard honorifique.

Les simagrées récentes à propos de la retraite de la très favorite présidente du Château de Versailles - sans doute pour d’autres motifs que ses résultats à ce poste - en sont une illustration.


Les musées de province n’échappent pas à cette humiliante chorégraphie des prétendants. Tout le monde a vu un jour dans sa ville un (ou une) responsable de musée lancé dans un projet retentissant, ruineux et souvent inutile pour se faire remarquer en rêvant de poser son derrière près du monarque dans un des luxueux fauteuils de la cour, ou au moins pour se distinguer dans le sérail où vont puiser indifféremment les autorités décisionnaires. 


Il y a quelques jours un épisode de cette comédie remuait le Musée des arts de Besançon. Le personnel en grève du musée le fermait en pleine semaine et manifestait devant ses portes, accusant sa nouvelle directrice d’insinuer dans l’établissement une ambiance nocive de secret, de caprices et d’autoritarisme.


Début 2023, à l’annonce de la nomination de la dame à Besançon, Étienne Dumont, notre chroniqueur suisse favori qui la connait bien, résumait sa carrière, jusqu’à son éviction mouvementée du Musée d’art et d’histoire de Genève qu’elle aurait transformé par ses nuisances en succursale de l’hôpital. Il prédisait des problèmes et un avenir chahuté aux élus qui venaient de la choisir pour Besançon.


Il commente aujourd'hui dans une chronique ce nouvel épisode qu’il avait prévu il y a plus d’un an, et qu’il appelle le cinquième échec grave de cette personne extrêmement toxique. Peut-être est-il, en citoyen suisse, un peu partisan ; se débarrasser de ce fléau bien entrainé aux techniques de la négociation a certainement couté cher à la ville de Genève.


Si Besançon confirme le mal et s’en délivre, on ne pourra que s’inquiéter du musée qui fera la prochaine victime.


La France n’est évidemment pas la seule dans cette situation où la direction d’un musée n’est plus confiée à un expert du domaine mais est devenue une fonction qu’on convoite sans scrupules comme tout autre poste de pouvoir. Et s’il arrive parfois qu’un expert soit nommé, les pressions économiques et politiques le transforment illico en mauvais gestionnaire.


Cette peste a débarqué depuis longtemps en Europe. En Italie par exemple, à Florence, l'autoritaire directeur allemand du musée des Offices, en disponibilité, naturalisé italien de justesse et soutenu par les partis réactionnaires, pourrait bien devenir maire de la ville, imaginant déjà sa propre statue sur un socle de la piazzale degli Uffizi qu’il a si souvent parcourue, et où la statue de Machiavel l’attend en observant d’un œil vide et amusé les attroupements de visiteurs du musée des Offices.


Mise à jour 16.05.2024 : Un site sur le patrimoine de la ville de Besançon recèle une liste quasiment introuvable d’une centaine de tableaux du musée dont les reproductions sont téléchargeables dans une bonne qualité (4 à 5000 pixels). Les enfers y sont un peu plus lisibles que sur place mais ne vous attendez pas à des miracles.

dimanche 14 avril 2024

Ce monde est disparu (12)

Francis Silva, Lever de soleil à Tappan Zee (Vente Sotheby's 3.12.2008, résultat : 2 570 000$

Francis Silva est un peintre américain qui embarrasse les critiques et les maisons de vente qui ne savent pas que dire de lui. Il a laissé peu de traces autres que ses tableaux.


Plus ou moins autodidacte, il n'a pas été impressionné par les courants de peinture de son temps. Il sillonnait, pour y trouver ses motifs, la côte nord-est des États-Unis, de Cape Ann, près de Gloucester - où il a peut-être vu des toiles de Fitz Lane qui venait d’y mourir - à Long Branch, au sud de New York, où il mourut à son tour en 1886. 

Seule période de sa vie un peu documentée, on sait qu’il s’était enrôlé dans l’infanterie contre les sudistes dans la guerre de sécession de 1861 à 1865, et avait participé à des évènements relatés dans les livres d’histoire, si bien que les commentateurs espéraient des tableaux héroïques, des illustrations de première main pour une biographie exemplaire. Hélas après la guerre civile Silva n’a peint que des paysages marins calmes, limpides, horizontaux. Parfois les restes d’une épave étaient poussés mollement par la marée, rien de plus.

Alors on trouve dans les essais sur Silva des avertissements du genre "il n’existe aucune preuve que Silva ait eu des conceptions luministes de son art", suivis évidemment d'un long chapitre, justement, sur le luminisme dans la peinture de l’école de l’Hudson river (les métiers de la plume sont souvent payés au nombre de caractères). 


Parmi les 110 chefs-d'œuvre de la peinture américaine de 1760 à 1910 exposés à Paris en 1984 - les États-Unis s’étaient séparés pendant 6 mois de leurs principaux chefs-d’œuvre - imaginez l’impensable, le Louvre prêtant simultanément ses plus beaux La Tour, Chardin, Ingres, Watteau - parmi ces 110 chefs-d’œuvre américains donc, il n’y avait pas de tableau de Silva.

C’était il y a 40 ans. Aujourd’hui Silva reste peu connu, et moyennement apprécié, comme dans l’essai cité plus haut où on le dit "artiste charmant mais dépassé… un peintre qui exploitait ses talents au mieux de ses capacités… et même s’il ne rejoindra jamais les anciens, il témoigne de notre époque démocratique". Pour le dire autrement, il a fait de son mieux, il est au moins la preuve que dans notre pays on peut venir de rien et parvenir à faire l'objet d'une étude verbeuse de 41191 caractères dont 6901 invisibles.

Ça n’est pas très charitable. Il est vrai qu’on peut finir par s’ennuyer devant trop de Silva.


Cependant sa cote grimpe doucement, et atteint parfois des sommets - voir le commentaire de notre illustration d'entête - mais reste très disparate, comme le montrent les enchères récentes illustrées sans ordre ci-dessous, de gauche à droite et de haut en bas.

1. Octobre sur l'HudsonChristie's 22.05.2014, 941 000$
2. La plage de Long Branch - Christie's 18.01.2024, 78 000$
3. Octobre sur l'Hudson - Sotheby's 3.12.2008, Invendu
4. L'Hudson, au loin les Catskills - Sotheby's 19.04.2023, 254 000$
5. Sur la North River - Sotheby's 19.01.2024, Invendu
6. Cape Ann - Sotheby's 19.01.2024, Invendu